• Séance du 13 avril - par Nadejda

     

    L'histoire d'une répétition...

     

    Aujourd'hui, nous ne sommes que trois acteurs sur scène. « Pourquoi ? », me demanderez-vous.

    Eh bien, c 'est qu'une partie de notre troupe (qui, vous l'aurez compris, n'est déjà pas trop nombreuse) est... partie en voyage ! Ils visiteront un beau pays qui s'appelle l'Écosse, et apporteront sans aucun doute avec eux de jolis souvenirs, et surtout de nouvelles impressions qui les inspireront pour notre futur spectacle.

    Et voici le sujet principal de mon histoire qui s'impose : le spectacle. Le retour à la réalité est difficile : plus qu'un mois et demi avant le jour J ! Vu les circonstances dans lesquelles nous, les trois acteurs qui ont préféré rester en France, nous trouvons, le travail sur le plateau démarre immédiatement : c'est à peine si les lumières de la salle sont allumées que notre metteur en scène, Marion, nous appelle sur le plateau. Pas de temps à perdre, c'est parti...

     

    Le Roi est demandé...sur la scène.

    C'est avec le monologue de Penthée, le roi de Thèbes ( joué par Manon ) que notre répétition démarre. Le contexte du retour de Penthée n'est pas le plus facile de tous : à peine revenu dans sa ville, il apprend que Thèbes a été envahi par les Bacchantes.

    Sans aucun doute, le Roi commence par se justifier devant son peuple. Manon arrive donc sur le bord du plateau, et s'adresse directement aux spectateurs, qui représentent ici les Thébains, comme tout au long du spectacle. Ici, il semble qu'un procédé intéressant est trouvé : en effet, s'adresser aux spectateurs revient à leur donner un rôle, en quelque sorte, de les faire se sentir encore plus concernés par ce qui se passe sur scène. Le public devient le partenaire de l'acteur, et voici le lien acteur / spectateur renforcé, mine de rien !

    Ensuite, le Roi de Thèbes est pris par la colère, la rage, dirigée contre les Bacchantes, et surtout, contre Dionysos, leur chef. Ce sont des émotions difficiles à jouer, mais le fait de s'adresser à quelqu'un aide pour le jeu. En tout cas, Manon semble y arriver. « Je lui couperai la tête, je la séparerai de son corps », Penthée est envahi par ses émotions. Les gestes traduisent la colère du Roi de Thèbes : il montre la tête séparée du corps, l'agite dans ses mains... (annonce de la future cruauté qui dominera la pièce ?).

    C'est à mon tour de monter sur scène (ou plutôt de me montrer aux spectateurs car nous avons décidé que le Serviteur que je joue interviendra dans le public). Le fait d'entrer par le public (car nous avons décidé que Cithéron se situerait derrière le public) est très intéressant : cela m'oblige à essayer d'entrer dans le jeu dès le seuil de la porte. Un autre défi à relever, c'est de prendre mon temps : avancer d'abord, se poser puis parler.

    D'abord, le Serviteur est joyeux, fier de son « trophée » qu'est Dionysos : « Penthée, nous voilà... », l'intonation joue beaucoup dans ce passage, il faut s'exclamer en entrant, afin de montrer sa joie mais aussi attirer l'attention des spectateurs. Lors de cette répétition, Marion m'a suggérée une idée que j'ai beaucoup aimée : instaurer une complicité entre le Serviteur et Dionysos, le premier admire, est fasciné par mi-Dieu mi-homme. Tout en parlant à Penthée, je dois donc sourire, regarder Dionysos ( joué par Caroline ), comme incapable de détourner mon regard. Cela rend mon monologue beaucoup plus vivant. Ici, une autre règle importante : au théâtre, il faut toujours de l'émotion, donc il faut bien sûr jouer avec le corps, mais aussi avec la tête.

    Notre metteur en scène nous a suggéré un autre procédé assez drôle, et qui aide beaucoup:celui d'actualiser la situation que l'on joue, essayer de la mettre dans le contexte de nos jours. Ainsi, on s'est imaginés que Penthée est en fait le premier ministre de France Manuel Valls, et que le Serviteur est un policier qui vient gâcher le beau et rassurant discours de cet homme politique, en parlant des Bacchantes qui ont échappé : Marion m'a suggéré de monter sur scène pour parler à Penthée, m'approcher de lui, un faux sourire aux lèvres, « chuchote r», tout en projetant la voix, qu'on n'est pas très loin d'une catastrophe. Dès que mon discours est fini, je pars : même si le Serviteur est fasciné par Dionysos, il se rend tout de même compte du danger que celui-ci représente. Maintenant je vois exactement la situation que je dois jouer.

     

    Messagers, les gens du peuple...

    C'est l'heure de l'arrivée de Messagers, joués par Sophie et moi. Dès lé début de notre histoire, nous nous adressons à Penthée, mais aussi aux spectateurs qui représentent, une fois de plus, les citoyens de Thèbes : le fait que nous arrivions par le public ( car du Cithéron )facilite le contact avec les spectateurs. Décidément, cette année nous n'avons aucune chance d'y échapper , puisque dans Un fil à la patte nos entrées se font aussi par le public !

    Cette répétition m'a beaucoup aidée à comprendre les intentions des Messagers, la situation dans laquelle ils se trouvent. Ils ont en fait peur de ce qu'ils ont vu dans la montagne, en sortant les vaches «  Leurs actes terribles, bien plus forts que des prodiges. » En effet, il y a une rupture importante entre la routine des bergers : la montagne, les vaches...et l'événement qui survient, c'est-à-dire des groupes de femmes presque nues qui se comportent de façon extraordinaire. Dans cette scène, nous nous adressons souvent au public puisque nous désirons leur raconter ce qui nous est arrivé. Ici, une chose importante à comprendre : il faut avoir envie de partager des choses avec les spectateurs, il ne s'agit pas d'une simple narration que nous avons tendance à produire.

    Les deux bergers ont peur, mais aussi trouvent tout cela surprenant, il faut dont jouer l'étonnement : « Et à cet endroit le dieu fit jaillir une source de vin. » Le jeu est ici dans les répliques mêmes : il suffit d'avoir l'image de ce que l'on dit dans la tête pour que les spectateurs voient eux aussi la scène ( les femmes sauvages, le lait qui coule de la terre...).

    Je me posais une question : comment jouer le moment où j'évoque les paroles d'Agavé, la mère de Penthée. La réponse donnée par Marion était simple (à comprendre, et non pas à jouer, pour l'instant) : jouer Agavé comme je la vois, l'imiter. Elle m'a proposée d'imiter une voix endiablée, par exemple, une idée que j'ai bien aimé et que j'ai essayé de réaliser.

    Malgré tout, l'histoire des Messagers devient très vite sérieuse : ils évoquent des visions d'horreur « Les chairs crues dégoulinaient de sang. » , tel un film d'horreur que l'on raconterait aux spectateurs : ici, le fait de s'imaginer l'image de ce que l'on doit jouer aide vraiment. Enfin, Marion m'a suggéré un changement total pour la réplique finale : au départ, on s'était dit que ce serait de la rigolade, maintenant, il s'agit en fait de jouer un homme du peuple qui tenterait de se souvenir de quelque chose qu'il a entendu dire, à l'église, par exemple. « Et quand il n'y a plus de vin, il n'y a plus d'amour, ni plus aucun autre plaisir pour les hommes ». Cette phrase retrouve alors une portée philosophique ( ce qui ne peut que me réjouir, admiratrice de la philosophie que je suis! ).

    Chose que nous devons travailler, pour cette scène : imaginer les deux tempéraments différents pour les Messagers, ainsi que faire des italiennes car ici les répliques doivent s'enchaîner, comme si les deux bergers s'entrecoupaient la parole.

     

    Agavé retrouve sa raison...

    La répétition se termine par le travail sur la scène finale, celle où Agavé, jouée par Sophie, retrouve sa raison à l'aide de son père, Cadmos, joué par moi. C'est aussi à ce moment-là que Dionysos prend sa revanche.

    Vu que notre choeur est en voyage, c'est Manon qui prend le relais car ici le choeur joue un rôle important : les Bacchantes se moquent en effet d'Agavé, et triomphent de leur victoire. Voici donc Agavé qui arrive (du Cithéron, une fois de plus !), toute souriante et fière de son «trophée ». Sophie doit ici jouer une sorte d'extase totale, toute souriante et heureuse. Le choeur, lui, se moque d'elle : « Prendre part à quoi, pauvre femme ? ».

    Cadmos arrive sur scène au moment où Agavé a l'intention d'accrocher la tête de son fils, Penthée. Les émotions qu' il faut jouer ici sont juste impossibles, introuvables : comment jouer un tel malheur ? On s'était dit qu'il faut jouer le vide, l'absence de toute émotion dû à la douleur insurmontable de Cadmos. Petite rectification suite à cette répétition : il faut aussi projeter sa voix.

    Ensuite, Cadmos va voir sa fille, la prend dans ses bras afin de la rassurer et de lui rendre sa raison. C'est comme s'il parlait avec un enfant, à qui il expliquerait les choses de façon la plus simple possible : « Examine comme il faut. Voir n'est pas un travail bien long ! ». En retrouvant peu à peu sa raison, Agavé s'éloigne progressivement de son père pour venir au bord de la scène : ici, on peut voir l'importance d'un déplacement sur le plateau, s'éloigner est pour Agavé un moyen de voir plus clair dans ce qui s'est passé. Ici, Cadmos joue le rôle d'un psychologue : pantalon noir, col roulé, lunettes, et peut-être une blouse blanche, tel sera son costume.

    Le triomphe de Dionysos n'est que trop glorieux : « Vous avez appris tard à me connaître. Quand il le fallait, vous n'avez pas vu ». C'est comme si Cadmos reconnaissait la faute de sa famille dans ce qui s'est passé avec Penthée .

    Cette répétition nous a enfin apporté plusieurs solutions : par exemple, nous ne savions pas quoi faire avec la tête de Penthée qu'Agavé tient dans ses bras . Finalement, notre metteur en scène nous a proposé que ce soit le chef du choeur qui la récupère, afin que Sophie puisse partir. La sortie de Sophie a d'ailleurs été trouvée (provisoirement en tout cas, avant le retour de nos voyageurs écossais) : c'est en partant dans les coulisses qu'elle prononcera sa dernière réplique : « Où me tourner, chassée de ma patrie 

     

    Voici comment s'est déroulée notre répétition avec trois acteurs : plus d'émotions, de volonté, toujours savoir pourquoi on va sur scène, connaître ses intentions ...telle est la fin de cette histoire !

    En attendant le retour du reste de notre petite troupe, à la prochaine (répétition !)